L'impôt est une chose merveilleuse

Publié le 12 Octobre 2012

Attention, cet article est très indigeste.

Vous êtes prévenu.


J'ai voulu répondre à un article du journal Libération qui m'a un peu énervé. Je ne suis pas moi-même un leteur de ce journal, non pas par idéologie mais plutôt par manque d'habitude. Il se trouve qu'un ami que je considère comme un être éclairé en recommandait récemment la lecture sur un réseau social. Que ne vous feraient pas faire vos amis ? Je me mis à le lire.

Il s'agit d'une sorte de synthèse d'une des "motions" (ce mot est entre guillemet car je ne sais pas ce qu'est une motion, et je ne tiens pas à le savoir) votées au parti socialiste en octobre 2012. Puis lors d'une seconde lecture j'ai trouvé que l'article n'était finalement pas si choquant que cela, et que ma réponse était assez confuse et de toute façon inutile.

Cela ne m'empêche pas de vous la soumettre : ceux que cela intéresse, merci de me faire part de vos commentaires.

 

Pour comprendre ce dont il est question, il est sans doute préférable de lire l'article d'abord :


http://www.liberation.fr/monde/2012/10/08/europe-et-si-on-passait-a-l-action_851755

 

J'arrête de lire au deuxième paragraphe, cet article n'est pas sérieux : "En vingt ans le taux moyen de l'impôt sur les bénéfices en Europe est passé de 37% à 25%, dans ces conditions faut-il s'étonner que la dette augmente ?"

 

De la part de personnalités moins éminentes que les signataires de ce papier, on pourrait croire à une erreur de raisonnement. C'est malheureusement beaucoup plus grave : il s'agit d'un mensonge, un mensonge pas omission. Doublée d'une insulte à l'intelligence du lecteur. Ce n'est pas parce que l'impôt diminue que la dette augmente. C'est parce que les dépenses augmentent alors qu'elles ne sont pas financées. Le dire autrement relève de la malhonnêteté intellectuelle.

 

Personne parmi les citoyens normaux ne peut se permettre d'emprunter de l'argent sans préparer les moyens de le rembourser, intérêt et capital. Presque tout le monde (1) est un jour obligé d'emprunter, et nous savons tous quels risques nous prenons, quel coût cela comporte, tant en termes pécuniaires que humains. Le défaut de remboursement d'un emprunt, auprès d'une banque ou à des proches, est une faute morale : c'est trahir la confiance placée en nous. Bien sûr il existe des exceptions, des accidents ; et des prêts criminels. Mais ce n'est pas le propos ici : on n'emprunte pas 1500 milliards d'euros par accident. Personne, donc, ici bas, ne se pose la question du remboursement après seulement qu'il a emprunté. C'est pourtant ce que les auteurs de cet article préconisent, en sous-entendu, pour l'état. Et notamment pour le nouvel état européen qu'ils ont l'intention de fonder, nouvelle hydre qui engloutira à coup sûr des ressources démesurées et avec elles le dernier espoir de régénérer la vie politique européenne.

 

L'emprunt est fondé sur l'obligation de rembourser

 

La démarche normale qui prévaut pour chacun d'entre nous consiste d'abord à évaluer notre besoin en fonction d'un projet défini, puis à en chercher le financement. Lequel, s'il recourt à l'emprunt, prévoira évidemment le remboursement des sommes prêtées comme une donnée même du problème. Ceux qui achètent une maison, qui financent leurs études, qui construisent une usine, visent tous a minima un certain équilibre économique : j'emprunte, mais une fois propriétaire je ne paierai plus de loyer ce qui me permettra de rembourser les mensualités de l'emprunt ; j'emprunte, mais j'acquerrai par mes études des compétences que je valoriserai sur le marché du travail et qui me permettront in fine de rembourser ; j'emprunte, mais je prévois d'affecter au remboursement une partie de la valeur produite par mon usine.

 

Pour tout le monde, à l'exception des escrocs, le remboursement est partie intégrante de la démarche d'endettement, depuis le tout début jusqu'à la dernière mensualité. Pour tout le monde. Sauf peut-être pour ceux qui ont l'habitude de dépenser l'argent des autres. Ceux qui n'empruntent pas en leur nom propre. Ceux qui financent leurs largesses avec la richesse collective. Ceux qui dépensent un argent que d'autres devront rembourser.

 

Banquier, cynique, mais pas coupable

 

On ne peut reprocher aux banquiers d'avoir fait leur travail : ils ne sont pas coupables d'avoir prêté des sommes extravagantes à des états en se fondant sur la capacité de ceux-ci à toujours lever plus d'impôts pour rembourser. C'est au contraire de leur part un jugement particulièrement juste sur la nature humaine et le fonctionnement de la démocratie. Cynique, mais juste.

 

Les banquiers ont parié sur l'inconséquence et la lâcheté des gouvernements. Et sur l'apathie des masses. Ils ont parié que les gouvernements emprunteraient toujours plus pour financer leur tendance à la démagogie, et qu'ils préféreraient laisser des ardoises impayées à leurs successeurs plutôt que de décevoir leurs électeurs. Ils ont parié que les successeurs ne seraient pas trop mécontents de cette situation, tant qu'ils pourraient à leur tour prélever dans le grand pot commun anonyme. Enfin, ils ont parié que lorsque le poids de la dette deviendrait trop élevé pour continuer d'emprunter, les peuples démocrates seraient suffisamment dociles pour se serrer la ceinture et rembourser les dettes léguées par leurs prodigues dirigeants. Et sur ce dernier point, on voit que l'actualité leur donne pleinement raison. Pour le moment.

 

Politique, irresponsable, et donc coupable

 

Évaluer le risque de défaut d'un emprunteur et obtenir une rémunération pour ce risque, c'est le métier même des banquiers. On ne peut pas leur reprocher de le faire du mieux qu'ils peuvent, dans le cadre de la loi, avec une intention lucrative qui n'est un secret pour personne. Si l'on a le droit de penser que certaines pratiques sont excessives et immorales (2), on ne peut que s'interdire (à soi-même et à ses gouvernants), d'y recourir. Mais si l'on y recourt, alors il faut accepter les règles du jeu. Celui qui confond la banque avec un institut de charité, celui là fait preuve d'une naïveté coupable ; et d'autant plus coupable s'il a argué de ses compétences pour recevoir des autres le mandat de gouverner.

 

L'impôt est une chose merveilleuse

 

L'impôt est une chose merveilleuse : une contribution supportée par tous en vue du bien commun. C'est une victoire de la solidarité sur la peur, l'instinct, l'ignorance, l'incertitude. Il permet des réalisations d'une envergure qu'aucune initiative privée n'atteindrait. L'avènement d'un état financé par l'impôt est un tournant essentiel dans l'Histoire des sociétés humaines, une condition essentielle de civilisation et de progrès. Mais la chose est d'autant plus merveilleuse qu'elle est juste, et surtout indolore, c'est-à-dire raisonnablement légère, et qu'elle sert le bien commun au lieu de lui nuire.

 

L'Histoire regorge d'exemples où des états ont fait régresser la société civile en l'écrasant sous des prélèvements inconsidérés. L'épisode le plus tragique est peut-être celui de la révolution française. On n'y vit pas seulement un peuple poser les fondations d'un régime politique moins injuste que le précédent. Cela, c'est ce qui dégage a posteriori, pour l'observateur lointain, des ruines et de la fumée. On y vit surtout la perte de la paix civile, des violences inconsidérées, un immense gâchis de ressources et de vies humaines, une défaillance mortelle de la justice, une débauche de violences et une grave errance de l'état.

 

Pour ma part, je ne souhaite pour rien au monde traverser un tel épisode, et son lot de calamités. Il était inévitable, les foules ayant été plongées par un état voleur et aveugle dans une misère inique qui menait droit à la violence.

 

On ne peut qu'espérer que les gouvernements du XXIème siècle n'ont pas omis pas d'étudier consciencieusement les poussiéreuses leçons du passé. On ne peut qu'espérer que les élites de notre pays et de ses voisins ne s'imaginent pas au-dessus de l'Histoire et de ses lois somme toute assez simples, et monstrueusement répétitives. On ne peut qu'espérer qu'elles n'écoutent pas les sirènes qui continuent d'appeler, à travers les siècles et dans des journaux aux titres trompeurs, à l'insouciance, à la perpétuation des erreurs (dont l'immobilisme est une la forme passive), et à l'irresponsabilité.

 

Il est des dettes qu'on ne doit pas rembourser

 

Si les banquiers touchent une juste rémunération, c'est parce qu'ils prennent un risque. Ce risque est bien réel : certaines dettes ne sont pas remboursées. La loi protège les débiteurs, on ne réduit plus en esclavage ceux que leurs dettes accablent au-delà du possible. Dans certains cas, les banquiers en sont donc pour leurs frais. En contrepartie de leur rémunération, ils doivent assumer réellement leur part du risque. Autrement dit, dans certains cas, il est permis de ne pas rembourser une dette : c'est une faute morale, et les dommages tant pour les banques que pour la société dans son ensemble sont immenses. Cela doit donc rester une solution de dernière nécessité. Mais cela fait partie des accidents pour lesquels les banquiers sont payés.

 

Or les dettes supportées à présent par les peuples européens ont à ce point dépassé la mesure que l'on est forcé de se demander s'il est raisonnable de les rembourser. Les efforts nécessaires, en effet, sont immenses, et le poids qu'ils font peser sur les peuples met en péril l'équilibre politique de ces sociétés. Quelle injustice d'exiger de quelques générations des sacrifices aussi considérables pour pallier l'inconséquence dépensière d'un petit nombre de dirigeants ! Quelle insupportable misère que celle artificiellement créée dans l'ancien continent de la civilisation et de l'abondance par des hommes dépensiers, démagogues, et sans honneur !

 

   

Fonder une nouvelle Europe ?

 

Au moment de la fondation, effectivement nécessaire et urgente, d'institutions nouvelles adaptées à la réalité du continent, il me semble donc impératif de ne pas reproduire les dangereuses erreurs du passé. C'est pourquoi je récuse fermement l'appel lancé dans cet article à ce qui me semble être une sorte de fuite en avant. Ne suivons pas la voie dangereuse sur laquelle certains essaient de nous entraîner. L'ampoule n'est certes pas une énième resucée de la bougie. Eh bien ! de la même façon, la garantie du bien être des Européens de demain ne saurait être une énième version d'un "modèle social" dont la faillite s'étale chaque jour sous nos yeux.

 

Oui, une réforme fondamentale des institutions est absolument nécessaire. Mais certainement par pour mettre en place un nouveau "système". Oui, il faut sans doute élaguer les compétences des institutions européennes, et il faut par dessus tout protéger (ou rétablir ?) ce mode unique de gouvernement par la discussion, par l'échange au sein d'un parlement qu'est la démocratie. La protéger comment ? Contre qui ? Certainement pas en construisant un ultime parlement, de dimension européenne, plus éloigné que jamais de ceux par qui on le ferait élire. Quel rêve mégalomane et dangereux ! Quelle étrange conception plus statistique que humaine de la démocratie ! Quel risque énorme de multiplier encore les gaspillages, les dettes et la lourdeur administrative qui caractérisent les super-états totalisants et qui provoquent leur effondrement, à Rome, à Moscou, à Washington, à travers toutes les époques ; et bientôt à Bruxelles ?

 

Car quelle est la plus grande menace pensant aujourd'hui sur les démocraties européennes ? Ce n'est pas l'abolition des chambres parlementaires par un tyran inique ou par un parti unique. Non, le danger aujourd'hui se trouve à l'intérieur : c'est l'incroyable défiance des citoyens envers leurs représentants. C'est le mépris réciproque que se portent gouvernants et gouvernés. C'est la perte de foi des citoyens dans leurs parlements. Mépris et perte de confiance qui augmente proportionnellement avec la distance entre le siège des parlements et les personnes qu'ils sont censés représentés.

 

Parlementarisme et représentativité des citoyens

 

Pour quelle raison ? Parce que ceux-ci sont mal fondés, inadaptés aux sociétés d'aujourd'hui, et qu'ils ne représentent pas ceux qui les élisent. La légitimité d'un parlement, sa représentativité, réside, à mon avis, dans sa proximité avec ceux qu'ils représentent. La proximité ? Ce mot galvaudé, je le manie avec précaution. Il ne s'agit certes pas d'un nombre de mains serrées par l'élu le jour du marché, ni de bains de foule ; de quotas statistiques d'hommes, de femmes, de noirs, de blancs, de boursiers ! Quel manque d'imagination de la part de ceux qui inventent de tels indicateurs !

 

Non, la représentativité d'un parlement c'est son existence à la fois comme besoin et comme solution dans la vie ordinaire de ceux qu'il représente, les citoyens ordinaires, et c'est leur présence réelle dans son enceinte. Les palais habités, parfois au sens propre, par des castes de représentants professionnels et carriéristes en sont le contraire même.

 

Cette représentativité réelle donne à un parlement son identité : elle n'est autre que l'identité du groupe représenté. Elle suppose une certaine homogénéité au sein de ce groupe, une homogénéité composée d'opinions diverses, différentes mais raisonnablement proches, et qui ont la volonté de s'accorder. Par conséquent, il existe nécessairement une échelle, bornée par un minimum et maximum, de la taille admissible d'un parlement : un juste rapport entre la taille de la population représentée et le nombre de ses représentants. Au-delà d'un certain seuil, il est évident que l'assemblée ne représente plus rien d'autre qu'elle même. Car comment admettre qu'un milliers de personnes rassemblées au centre d'une seule ville pendant cinq ans représentent réellement 60 millions de citoyens vivant dans des endroits et des cultures aussi divers et éloignés que ceux de la Bretagne, du Jura, du Pays Basque, de la Touraine...

 

Bien sûr, ces personnes ne sont pas enfermées dans leur hémicycle, et on ne manquera pas de me jeter à la figure le nombre moyen d'heures qu'elles passent "sur le terrain". Peu m'importe ! Ce n'est pas là le fond du propos. Le format de nos deux assemblées n'est plus adapté au peuple de ce pays, de même que le format de l'assemblée athénienne du Vième siècle ne lui est pas adapté non plus, c'est là tout ce que je veux dire.

 

Et la double preuve de ce divorce, que les actuels tenants du titre de représentants ont toutes les peines du monde à admettre pour des raisons évidentes de confort personnel, c'est le désintérêt abyssal des Français (et de nombre d'Européens) pour la vie publique, et le vide cosmique et sinistre du débat politique actuel.

 

Trop de représentants ? Pas assez de représentants ? Quels représentants ?

 

Il faut bien sûr se poser la question de leur nombre, puis aussi celle de leur qualité. Au delà d'un certain nombre de membres, c'est l'efficacité même de la discussion qui est mise à mal. Il ne s'agit donc évidemment pas de multiplier le nombre des représentants nationaux. Trop nombreuse, une assemblée ne permet pas un réel débat, elle ne génère que du bruit. Trop restreinte, elle ne saurait représenter fidèlement. Quant à la qualité : comment supporter la différence de nature, pour ne pas dire de classe, entre des députés et des sénateurs incroyablement privilégiés, issus des mêmes cénacles, et traités par la république comme des princes, et leurs quasi-sujets ? Ne sait-ont pas faire de la politique avec simplicité, en France ?

 

Au moment de fonder l'Europe, puisque c'est le modeste rôle que s'attribuent certains, il faudra commencer par réfléchir à la façon d'y faire fonctionner réellement la représentation citoyenne nécessaire à la légitimité des nouvelles institutions envisagées. Et rien n'interdit d'imaginer des assemblées différentes, plus lisibles, plus fidèles et plus efficaces que toutes celles qui existent actuellement, dans le flou et la superposition les plus complets.

 

Il ne suffira pas de construire une salle semi-circulaire et d'y envoyer par des votes spectaculaires et réguliers, transmis en direct à la télévision en image haute qualité, un nombre élevé d'hommes de tous les sexes et de toutes les couleurs. Ce modèle est usé. Il ne permet même pas, à l'échelle nationale française, d'élire raisonnablement un président choisi par une majorité vraiment absolue d'électeurs qualifiés.

 

Une assemblée de deux cent ou trois cent membres renouvelés tous les trois ou quatre ans peut être un véritable espace de discussion. Mais elle ne représentera pas un nombre élevé de citoyens. A contrario un groupe de 700 ou 800 personnes s'exprimant dans des langues différentes et installées dans de confortables fonctions n'est pas un parlement : c'est une caste bavarde dont l'utilité est inversement proportionnelle aux nombre de privilèges qu'elle s'octroie.

 

Un "système parlementaire" européen est donc une véritable hérésie : on ne parlemente pas à l'échelle d'un continent. Au mieux, on bavarde. Quant à ce qui se passe au sein d'un "système", je le mets sur le plan de la médecine, de l'informatique, ou d'une technologie de pointe ; mais certainement pas sur celui de la pensée politique.

 

Je le répète : l'éloignement des représentants et de représentés est le plus grand danger qui pèse sur la démocratie. Il entraîne une déresponsabilisation des représentants et des gouvernants au sein d'un système pyramidal où le sommet ignore sa propre base : c'est cela même dont nous souffrons aujourd'hui. N'en déplaise aux auteurs de l'article cité ci-dessus, la technocratie et ses systèmes, les marchés, et les parlements lointains et irresponsables sont autant de dangers qui mettent en péril le bien-être des peuples.

 

Une Europe démocratique fondée sur des assemblées régionales souveraines

 

En revanche, une coopération continentale sur des prérogatives volontairement mise en commun par des assemblées réellement représentatives et réellement souveraines, voilà un objectif souhaitable.

 

La première étape de cette nouvelle fondation ne sera donc pas une levée d'impôt, ni un emprunt supplémentaire et généreux, mais la création d'assemblées de taille raisonnable, économes, transparentes, directes, et où chacun aura à se rendre régulièrement dans sa vie de citoyen, tant par devoir que par volonté personnelle et spontanée. Régionales et souveraines, elles remplaceront les mauvais théâtres actuels, et elles auront la capacité de mettre en commun un certain nombre de leurs prérogatives.

 

S'il doit exister des institutions à la mesure du continent européen, elles n'auront autorité que sur les questions d'ordre réellement européen ; ou elles n'auront pas d'autorité du tout. Ces questions seront celles pour lesquelles les peuples d'Europe ont effectivement un destin lié. Car on conçoit bien que, décidés à lier leur amitié et leur avenir sur un socle de valeurs partagées, à défaut d'être universelles, ils puissent mettre en commun certains de leurs moyens dans des projets de défense, d'infrastructures, d'énergie, d'environnement, de recherche, d'enseignement universitaire. La marge de progression est immense en Europe pour de tels projets, et c'est bien sur leur succès que se jouera le bonheur des Européens de demain.

 

Quelles merveilleuses rationalisations, quelles formidables gains de temps et d'énergie on doit pouvoir mettre en place en réfléchissant à l'échelle continentale dans les domaines cités, et dans quelques autres que j'oublie ! Quel élan donné à l'intelligence européenne en élargissant ainsi son terrain de jeu et en mutualisant ses moyens ! C'est une formidable économie de ressources qui est ici possible. Et cette économie ne devra pas servir à financer des projets pharaoniques, mais à alléger le fardeau administratif et fiscal que fait inévitablement peser toute institution sur ses administrés.

 

Les institutions européennes ne doivent pas être construite sur le modèle ancien de la dépense régalienne, mais sur celui qui préside à tout progrès : la recherche de l'économie et de l'efficacité. Le paradigme du "toujours plus" a vécu : le temps est à l'allègement. Il est temps d'appliquer en politique les idées nouvelles qui apparaissent enfin dans la société civile : on ne construit plus les voitures les plus confortables, les plus sophistiquées, les plus rapides, les plus puissantes, mais celles qui consomment le moins, qui répondent le mieux au besoin initial : se déplacer. On ne croit plus à la consommation illimitée des ressources énergétiques, à la débauche de moyen et au gaspillage qui ont inspiré tant de politiques stériles : le temps est enfin à l'économie, à la mesure, à l'efficacité. Puisse la politique s'inspirer de ce mouvement, et inverser enfin sa démarche : simplifier, améliorer, économiser d'abord. Dépenser ensuite.

 

C'est sur ce modèle là que l'on peut construire une nouvelle Europe. C'est sur ce modèle là que l'Europe ancienne doit inventer de nouvelles institutions légères, durables, économes, efficaces, intelligentes, adaptées. En dehors des prérogatives spéciales accordées aux institutions continentales, les citoyens décideront localement, souverainement de leurs lois et de leurs modes de vie. Si les valeurs partagées par les peuples européens leurs permettent de consentir librement les moyens nécessaires à certains projets d'envergure qui génèreront in fine des économies d'échelle, leurs volontés inévitablement différentes dans toutes les questions qui regardent la vie quotidienne devront absolument être respectées. C'est ce que je considère comme une condition essentielle du bonheur individuel, de la paix social, et une fin ultime de l'organisation politique.

 

Laisser madame Thatcher en paix

 

Madame Thatcher avait sans doute raison de demander son dû. Inutile d'ailleurs de lui faire ânonner des propos qui ont au moins le mérite de la clarté, sinon celui de la délicatesse, et de lui faire prétendument joindre l'action (violente) à la parole. Madame Thatcher savait que l'argent des banques, c'est avant tout celui des clients des banquiers, et donc celui des épargnants, des citoyens eux-mêmes. Si les dettes ne sont plus remboursées, les dirigeants des banques en souffriront peu. En revanche, l'épargne des citoyens, elle, sera considérablement diminuée, d'une façon ou d'une autre. Et ce sera une cause de plus, bien compréhensible, de leur mécontentement. Une lampée supplémentaire d'huile négligemment jetée sur le feu. Un risque de plus de voir éclater la révolte. Or la révolte est ce que les banquiers et les gouvernements clairvoyants, dans un élan commun de solidarité, ont le plus à coeur d'éviter.

 

Je résume

 

L'urgence n'est pas donc pas de lever plus d'impôt pour financer un projet chimérique censé nous sauver du chaos par la même magie que celle qui nous y plonge en ce moment, mais au contraire de réfléchir honnêtement au causes de nos difficultés, de considérer les risques réels de la situation présente, et de prendre les mesures adéquates pour les neutraliser : (i) arrêter enfin et immédiatement l'escalade de la dépense, (ii) restaurer une représentation réelle des citoyens, et restaurer au passage les citoyens dans la citoyenneté que, pour beaucoup, ils ont abandonnée, et (iii) rendre les gouvernants responsables non plus seulement devant les urnes, mais aussi devant la justice ; et ce de manière rétroactive. Certaines politiques sont fautives, elles doivent être corrigées. Certaines politiques sont dangereuses, elles doivent être combattues. Certaines politiques sont coupables, elles doivent être condamnées.

 

Alors seulement on pourra envisager de fonder une Europe démocratique solide, au service de la paix civile, des personnes et des idées.

 

 

Merci à ceux qui auront eu la persévérance nécessaire pour me lire jusqu'au bout. J'accueille avec plaisir tous les commentaires critiques.

 

(1) Il convient d'ailleurs de s'interroger sur les avantages financiers exceptionnels dont profitent les élus du parlement Français. Les prêts sans intérêt dont ils bénéficient ne les entrainent peut-être pas à gérer scrupuleusement la dette collective.

 

(2) Il n'est ici question que des pratiques admises dans le cadre de la loi. Les pratiques illégales relèvent de la justice, et la collusion des élites politiques et des banquiers, parfaitement illustrée par les crimes financiers commis en Grèce et ailleurs dans l'Histoire récente, est précisément une des dérives gouvernementale que je veux condamner dans ce papier.

Rédigé par FangShuo

Publié dans #Opinions

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J
mon cher Fang Shuo<br /> j' ai lu jusqu'au bout et sans lassitude ton article. il est magnifique: clair, sans démagogie, et courageux car tu dis les choses en vérité. Avec cet article tu ne vas pas te faire que des amis !<br /> je te félicite ! Il a une profondeur Gaullienne. C'est aussi pratiquement un manifeste pour une nouvelle politique. Tu en as la capacité. Rassemble autour de toi une équipe ou participe à une<br /> équipe fondée sur cette analyse juste. Je vote pur toi. Garde toujours cet esprit critique juste et cette capacité de dire les choses en vrai.<br /> Qiao Ma Li
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