1 mai 2013 - Pensons l'Etat faible

Publié le 2 Mai 2013

Aujourd'hui, alors que certains défilent à Paris pour l'avènement de l'anticapitalisme, je lis avec bonheur 活着, Vivre, l'excellent roman de M. 余华, Yu Hua, qui raconte l'histoire d'un homme nommé 徐福, Xu Fugui, à travers cinquante années mouvementées de l'histoire de Chine. Voyons un peu ici comment la littérature sauve le monde.

 

 

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1ère de couverture de  活着,(huózhe) Vivre !  roman de 余华 (Yu Hua), 1993

Pas traduit en Français à ma connaissance

 

 

Dans ce roman, suite à la faillite morale de l'empire (dont la ruine brutale de la famille /Xu est peut-être une sorte de symbole), sa famille est jetée d'expérimentations idéologiques sinistres en généreuses collectivisations catastrophiques.

 

 

Héritier d'une famille de propriétaires terriens, son éducation morale est visiblement négligée, comme souvent dans les familles/pays/civilisations qui connaissent l'abondance et le confort : il commence donc par perdre au jeu la demeure familiale, où vivent (jusqu'à la page 28) père, mère, épouse, progéniture, et domestiques ; ainsi que l'ensemble des terres.

 

 

Du jour au lendemain Fugui retombe quelques générations en arrière et doit, pour survivre, cultiver un lopin de ses anciennes terres, loué au nouveau propriétaire. Son père ne supporte pas le choc et meurt. Son épouse (enceinte) lui est reprise par un beau-père soucieux des apparences. Et sa mère tombe malade.

 

 

Enrôlé de force un soir au coin d'une rue et sans avoir eu le dire ouf à qui que ce soit, il survit par chance (quoi que…) à plusieurs mois de combats absurdes entre deux armées auxquelles il ne comprend rien : nationalistes contre communistes, Fugui a d'autres questions en tête. Les scènes irréalistes mais sans doute tristement proches de la réalité peintes par Xu Hua font d'ailleurs furieusement penser à ce que voit Bardamu, en Europe, quelques années plus tôt.

 

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Il rentre donc chez lui pour voir successivement ses cinq "mu" de terre et deux moutons saisis par la commune, ses ustensiles de cuisine jetés dans un joyeux et délirant bas fourneau populaire-et-républicain qui ne parviendra jamais à fondre un acier utile au pays, et enfin sa famille affamée par une gestion collective inefficace. Eh oui, vous l'avez compris, en Chine les communistes ont gagné la guerre civile.

 

 

Et je n'en suis que là dans la lecture de ce roman terriblement éprouvant, comme d'ailleurs beaucoup de romans chinois du vingtième siècle (les oeuvres de Lao She ou Lu Xun par exemple) ce qui révèle certainement quelque chose de la dureté de la vie en Chine depuis un grand nombre d'années, et de la valeur subséquemment différente accordée ici à la vie humaine, et, partant, aux "droits de l'homme".

 

 

 

Mais c'est déjà assez pour vous soumettre les idées qui me sont venues à l'esprit. Car la littérature, la vraie, ça fait réfléchir. 

 

Et je me disais donc dit cet après-midi, entre deux chutes de cerf-volant sur la pelouse de l'université de Fudan : les décisions des états, ces puissances froides et inhumaines, transforment la vie des gens, la vie des petits, avec l'indifférence brutale et irrémédiable d'une machine aveugle.

 

Fudan cerfvolant

 

 

Les théories de ceux qui les dirigent ont le pouvoir de bouleverser radicalement les petites habitudes misérables, les existences simples, les choix personnels, les attachements particuliers que sont nos vies. Et c'est potentiellement terrible. Surtout à une heure où se pose de manière cruciale la question de savoir si nous voulons encore et toujours plus d'état, ou, enfin, engager des réformes vers moins d'état.

 

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L'état nous transforme et c'est terrible

 

Y compris hic et nunc, chez nous, ici, et maintenant. La théorie du genre par exemple, et tout ce que les éducateurs nationaux racontent ou ne racontent pas à vos enfants (ou ce que les professeurs du pays où je me trouve ne racontent pas, pour prendre un exemple concret, au sujet des exploits du grand homme en statue juste là), tout cela a un immense et silencieux et insidieux pouvoir de transformation sur nous, sur ce que nous pensons, et sur ce que  penseront vos enfants, malgré vous, et peut-être contre vous.

 

Sous des prétextes toujours généreux, il décide de modifier les vies, vos vies, nos vies, et de les façonner selon un modèle qu'il juge parfait, et en tout cas meilleur que la réalité. Pus désirable qu'elle. Et ce quel que soit le coût de la transformation. Et malgré le fait qu'aucune tentative de la sorte n'ait jamais abouti à rien d'autre dans l'histoire des hommes qu'au célèbre trio goulag-famine-plouf.

 

 

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Mais voilà : les gens ne viennent pas ici-bas pour construire une société parfaite

 

Ils arrivent dans cette vie, nous arrivons tous dans cette vie par une sorte de hasard cosmique à ce jour inexpliqué (en tout cas de manière consensuelle et admise par une revue scientifique à comité de lecture par des pairs).

 

Et ils ont tous, nous avons tous le simple droit, l'unique droit, car s'il n'y en avait qu'un ce serait celui-ci, de nous débrouiller à vivre cette vie librement, comme nous l'entendons. Nous avons le droit de nous contenter de peu, d'aimer nos vies imparfaites, d'inventer nos propres petits modèles inoffensifs, non-universels et même complètement particuliers.

 

Le droit de passer notre temps et notre éngerie à collectionner les papillons où à nous enrichir, à composer des poésies bonnes ou mauvaises, à regarder le soleil se coucher chaque soir de l'autre côté du terrain vague, et tout ce que bon nous semble. Tant que cela ne regarde que nous, bien entendu.

 

 

 

Surtout, nous avons le droit de ne pas gâcher le peu de temps qui nous est imparti ici-bas dans des projets absurdes décidés par d'autres.

 

Car c'est bien cela le totalitarisme, qui tente de contrôler les moindres aspects de nos existences, depuis ce que nous mangeons, à ce que nous pensons. Et pour trouver des projets dans lesquels investir les vies des autres, il faut bien reconnaître que sans même établir de distinctions idéologiques (mais on pourrait) l'homme est champion.

 

Par exemple : le peuplement des belles tranchées vaines de Verdun (voilà presque cent ans, deux jeunes frères ont laissé la vie dans une boue du Nord de la France, comme tant d'autres ici ou ailleurs, laissant une mère inconsolable et une veuve enceinte de mon grand-père),  la prise des ruines de Stalingrad (ou leur défense), l'alignement des chiffres de la production nationale de quoi que ce soit avec les prévisions du parti dans un petit cahier propret de comptable à Moscou, Pékin, ou Pyongyang. Ou le sponsoring non-volontaire, à 75% ou moins, du déficit français. De la piscine de tel haut-fonctionnaire. Ou de celle de tel de ses amis. De la petite fille de Messieurs les nouveaux mariés. Et cætera.

 

Et des cætera, il y en beaucoup.

 

 

 

Transformer le monde, transformer les gens ce n'est pas le rôle de l'état

 

Son devoir est au contraire de les protéger tels qu'ils sont, aussi misérablement humains, aussi lamentablement imparfaits soient-ils. De les laisser exister. Avec tous leurs défauts, leurs vices, leurs sexes, leurs préjugés utiles et autres raccourcis et défauts de pensée bien humains qui sont les leurs (si vous voulez bien me pardonner ce hollandisme grammatical) et qu'on ne leur enlèvera pas sans faire d'eux du bétail à propagande, par définition malheureux. 

 

Étonnamment, l'Humanité n'a pas besoin de l'Etat pour grandir et s'améliorer. Au contraire même. Observons une seconde les productions artistiques, culturelles, philosophiques ou scientifiques majeures de l'Histoire : combien sont le fruit direct de quelconques politiques étatiques ? Aucune. Et je ne pose même pas la question des œuvres d'art subventionnées.

 

Il (l'état) doit donc non seulement borner très clairement son action, mais aussi chercher constamment à se faire le plus petit possible (toute dissemblance flagrante avec l'état français étant purement fortuite) car il possède un effrayant pouvoir de nuisance.

 

 

 

 

Découverte rapide de l'Histoire moderne par une personne parfaite récemment décongelée

(Le Cinquième Elément, Luc Besson, 1997)


 

Un exemple très concret et horrifiant que présente l'histoire de Fugui, est le suivant : privés d'ustensiles de cuisine, puisque tous les objets métalliques sont réquisitionnés et fondus pour augmenter la production d'acier nationale, les villageois chinois, durant le grand bond en avant (environ 30 millions de morts) décidé par Mao, devront abandonner les repas en famille, lieux de tant d'échange et de transmission entre les générations, pour se rendre trois fois par jour dans les cantines collectives.

 

Imanigez :  trois fois par jour, dans l'atmosphère calme et reposante qu'on leur connaît, déguster à la cantine des plats que vous ne choisissez jamais, et ce avec l'ensemble de votre village/quartier/entreprise. Cela ne ressemble-t-il pas à l'enfer ?

 

Je ne peux d'ailleurs pas m'empêcher de comparer cette situation à l'obligation faite à mon camarade K, ressortissant bien réel de Corée du Nord qui étudie ici le Mandarin avec moi, de prendre tous ses repas avec les autres nord-coréens du campus. Dîners de classe, invitations amicales, déjeuners à la cantine entre deux cours : il décline tout poliment, et visiblement à regret. L'Association des Nord-Coréens de l'Etranger veille à préserver les esprits. Et c'est lorsqu'on nourrit les corps qu'ils sont le plus vulnérables à la discussion informelle, libre, et donc dangereuse.

 

 

 

Une police, une justice, une armée

 

Revenons-à nous moutons (dont on veut faire, rappelons-le, des hommes libres) : pour protéger les hommes contre leur tendance récurrente à la violence : police, justice, armée voilà les organes vitaux d'un Etat. On peut y ajouter une instruction publique pour les protéger aussi contre les ravages de l'ignorance, celle qui fait croire que la terre est plate, que les femmes sont maudites, que les jumeaux portent malheur et qu'il faut les jeter au fond d'un puis, et que si l'on donne gentiment son pécule à Raël, Staline ou Harlem Désir tout va s'arranger.

 

Le domaine de la bêtise étant immense, on voit bien que le seul vaccin possible ne consistera jamais à bourrer des crânes avec du Vrai en tube ou en suppositoires, mais à encourager les esprits naturellement critiques et constructifs à l'être encore davantage.

 

 

 

Une instruction publique donc, et non pas une éducation nationale ou un quelconque autre système de propagande

 

Sauf bien sûr si on souhaite déclencher une guerre avec un grand pays voisin. Une instruction qui offrira donc à chacun, en fonction de ses dispositions, une possibilité de rechercher par lui-même, et pendant toute sa vie, la connaissance et la sagesse, sa façon bien à lui de mener la Vie Bonne.

 

C'est-à dire très concrètement : lui apprendre à lire, à parler le langage commun et s'y exprimer clairement (ce qui est si rare déjà aujourd'hui), et à faire l'usage des nombres pour compter et calculer et défendre ses intérêts. S'il sait lire, je veux dire "bien lire" (ce qui exclue le déchiffrage global et l'anônement), il apprendra à penser par lui-même. À condition que ses maîtres le laissent faire.

 

Cela, ces quelques prérogatives toutes simples quoi qu'on en dise, c'est le rôle de l'état.

 

 

 

Le reste, c'est aux individus libres de le construire par eux-mêmes.

 

Si toutefois ils jugent librement qu'ils en ont besoin. Et ils auront alors la liberté de se réunir, d'entreprendre, en association ou en société à but lucratif, pour réaliser dans cette vie ce qui leur semble utile et important. Ou encore, de fuir cette effrayant liberté en émigrant vers un des rares paradis socialistes encore en fonctionnement (mais il va falloir se presser, il y en a, étonnament, de moins en moins).

 

L'Etat idéologique est dangereux car il s'immisce partout sans gêne et sans retenue, et il préfère au bonheur immédiat des hommes d'aujourd'hui le projet (enthousiasmant certes, mais voué à l'échec) de mise en oeuvre à marche forcée d'une idée, par définition sans réalité. Et il est tout-à-fait prêt (aidé de ses serviteurs zélés que ne motivent qu'une abnégation sans borne et un amour fulgurant du prochain, ainsi peut-être qu'une tenace volonté d'être réélu, si possible) à priver sciemment ceux-là de celui-ci pour parvenir à ses fins à lui.

 

 

 

Si le coeur des hommes est mauvais (parfois), l'état, lui, n'a pas de coeur du tout. Il vaut donc encore mieux faire confiance aux hommes libres.

 

Notre histoire, je veux dire l'histoire des hommes, compte suffisamment d'exemples cruels de telles faillites, qui plongent dans la misère et la mort des millions d'individus. Et nous devons noter que la faillite budgétaire est à la fois une constante et un signe précurseur de l'effondrement de ces états totalisants.

 

Limitons donc aujourd'hui le domaine de l'action étatique : ayons foi dans l'homme, ayons le courage de choisir la liberté ! Exigeons une véritable et radicale simplification de l'hyperétat français, et un abandon de toutes les prérogatives qu'il s'est dangereusement adjugé. Car il faut laisser les hommes libres de vivre. Et de choisir leur assurance maladiepar exemple.

 

 

En un mot : refaisons de la France un vrai pays de liberté.

 

 

Et pour connaître la suite de l'histoire de Fugui, apprenez le Mandarin, ou regardez le film qu'en a tiré Yang Zhimou. Ou suivez le Courrier de Shanghai en vous abonnant à la newsletter ou au flux RSS, ou sur Twitter @lcdsh, ou sur Facebook !

 

 

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Rédigé par FangShuo

Publié dans #Opinions, #Livres, #France, #Socialisme, #Communisme et modernité

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H
Rien de spécial à dire mais toujours fidèle au poste!
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J
très bien encore ton article. il va falloir que tu deviennes journaliste ou écrivain ou les deux, en plus de conseiller en affaires éconiques<br /> Qia Ma LI
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F
<br /> <br /> Merci !<br /> <br /> <br /> <br />