Le Courrier de Kaohsiung
Publié le 23 Septembre 2013
La plupart d'entre vous, lecteurs chers et rares, le savent déjà : pour quelques semaines le courrier de Shanghai est devenu le courrier de Kaohsiung.
Au Sud de Formose, l'Ile de Beauté (quelqu'un dans ce lectorat a-t-il des reste de Latin?), que les Chinois appellent Taïwan, se trouve la ville de Kaohsiung, Gaoxiong, ou encore 高雄.
Une chose que l'on apprend avec le Chinois, et en fait avec toute langue étrangère, c'est la relativité des noms, des mots, et de la langue. Je suis toujours étonné qu'un même endroit puisse avoir plusieurs noms différents, tous aussi vrais, tous aussi valides et exacts les uns que les autres. Un lieu unique, où l'on peut se tenir debout, promener ses pas, regarder, vivre. Mais plusieurs noms, plusieurs identités. A ne plus savoir où l'on est.
Tout n'est pas relatif, non. Mais les langues, si. Et les moyens dont nous disposons pour parler de ce tout sont illimités. Ainsi font donc Chinois du continent et Taïwanais, pour glisser dans leur langue commune, le mandarin (qui a lui même plusieurs noms:普通话,"Putonghua", i.e. "langue commune" sur le continent, et 國語, "guoyu", "langue nationale", à Taiwan), de subtiles nuances aux implications évidemment politiques.
"Kaohsiung" donc, c'est l'ortographe romanisé de la grande ville au Sud de Taïwan, version Taïwan. "Gāoxióng", c'est le même mot, dans la romanisation dite "Pinyin" ("placer les sons ensemble", en Chinois) utilisée en Chine continentale (et communiste). Taïwan est attaché à son orthographe spéciale, aujourd'hui largement minoritaire, presque autant qu'à ses caractères traditionnels (j'en ai déjà parlé ici), eux aussi minoritaires. Il y a dans l'histoire de cette île depuis l'arrivée de Tchiang Kai-chek (Jiang Jieshi, 蒋介石, ou encore 蔣介石)une sorte de goût immodéré pour les causes perdues. Et tout semble bon pour se distinguer de l'encombrant continent, cette Chine devenue moins chinoise que Taïwan, et que Taïwan ne reconquera vraisemblablement jamais.
Déplacer sa (petite, restons modeste) pensée dans un autre univers, lui donner de nouveaux jouets, la revêtir de nouveaux habits un peu étranges et qui l'amusent, la mouvoir dans un théâtre nouveau où elle s'étonne de sa propre étrangeté. Voilà le voyage que j'ai commencé, à grands coups de dictionnaires et de billets de train, et qui me mène encore un peu plus à l'Ouest Est, à Kaohsiung, pour le moment.