Suzhou Sous la Pluie

Publié le 24 Juillet 2013

Il y a quelques jours j'ai du me rendre à Suzhou (prononcer "sou-djo") pour un voyage d'affaires. Suzhou est une "petite" ville proche de Shanghai réputée depuis de nombreux siècles pour ses soieries, ses poètes et ses petits jardins de lettrés.

 

 

Elle est bien connue des voyageurs puisqu'il ne faut plus qu'une petite demi-heure pour  parcourir en TGV la petite centaine de kilomètres qui la sépare de Shanghai, sans d'ailleurs jamais quitter vraiment l'immense zone urbaino-industrielle qui couvre toute la région. Son centre historique est un réseau de petits canaux qu'enjambe de petits ponts gracieux déjà remarqués par Marco Polo, si bien que Suzhou est aussi appelé la Venise de la Chine.

 

 

Comme il me restait trois bonnes heures à tuer entre la fin de mon rendez-vous et le départ du train qui devait me ramener vers Shanghai ce vendredi là, je décidais de d'aller visiter la Pagode du Temple du Nord, qui se trouve sur le chemin de la gare, et que je n'avais pas eu le temps de voir lors de ma précédente visite, quoi que bien accompagné, en novembre dernier.

 

 

En temps normal je me serai fait un plaisir de remonter les rues commerçantes très animées jusqu'à la pagode, mais une pluie chaude et battante se mit à tomber au moment même où je sortais du bureau.

 

 

Un étonnant bureau, d'ailleurs. Je devais rencontrer le directeur de cette entreprise pour évoquer des projets de développement : après quelques échanges incertains au téléphone, son Mandarin comptant autant de morceaux du dialecte Wu que le mien compte de trous béants, il m'avait convié à venir tout simplement le rencontrer ici. J'avais reçu l'adresse par sms, et me voici en route pour Suzhou.

 

Suzhou Sous la Pluie

 

 

Or, quelle ne fut pas ma suprise d'atterir dans une toute petite ruelle du coin Sud de la vieille ville, à deux pas de l'endroit même où j'avais abandonné, huit mois plus tôt et déjà pressé de retourner à la gare attraper le Suzhou-Shanghai du soir, mes deux visiteurs du moment.

 

 

Dans une bâtisse moderne faisant face aux antiques maisons à murs blancs et toit de briques grises et noires, mon rendez-vous m'attendait.  A peine me fus-je signalé à ce qui ressemblait moins à l'accueil d'une entreprise d'envergure provinciale qu'à une superette de quartier spécialisée dans les produits de nettoyage que l'on me fit grimper un escalier raide comme un verre de baijiu, menant de cette sorte d'arrière boutique vers les bureaux climatisés du premier étage.

 

 

"Zuozuozuo ! Xian he cha ! Xian he cha ! Xian he cha !"

 

"Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! Tenez, buvons le thé, buvons le thé, buvons le thé ! " Je retrouvais cette même politesse chinoise triphasée dont j'ai déjà fait l'expérience dans les collines du Fujian. On s'assoit d'abord, on boit le thé. On parlera affaires après.

 

 

Nous passâmes donc deux bonnes heures à siroter un assez bon thé au ginseng, que mon hôte préparait en continu et avec gravité sur un plateau de bois prévu à cet effet.

 

"Je ne maîtrise pas très bien, me dit-il avec toute l'humilité dont il était capable, je viens de prendre des cours mais ce n'est pas encore parfait".

 

Et de verser à l'envi dans nos minuscules tasses le sacré breuvage. J'aime beaucoup ce thé qui bien que parfaitement pur laisse sur la langue un étrange petit goût de sucre, ou d'amertume, bref un goût difficile à définir mais très rafraichissant.

 

 

Habitué maintenant à cette petite cérémonie, j'attendis patiemment qu'il aborde de lui-même l'objet de ma venue. Voyant qu'il avait affaires à un homme civilisé, un demi-chinois, et non un de ces barbares aux longs nez, poilus, transpirant, qui sentent le lait sinon pire, et qui ne savent que parler d'argent, il finit par répondre aux questions que je brûlais de ne pas poser.

 

 

Lorsque nous eûmes terminé, il demanda encore à sa secrétaire, cédant ici plutôt aux us du Chinois moderne, de nous prendre en photo avec son énorme smartphone, devant l'immense calligraphie ornant son mur. Enfin il me reconduisit lui-même jusqu'au rez-de-chaussée. Une phénomène étrange nous attendait à la porte du bureau : chaque marche que nous descendions nous replongeait un peu plus dans l'air brûlant et moite qui m'attendait dehors. Exceptionnellement (mais la Chine est pleine de ces mystères qui étonnent les long-nez), l'air chaud était près du sol.

 

 

Enfin, j'étais libre, et je sortis de cette petite boutique étrange si calme, dominant d'une courte tête les toits centenaires de la vieille ville de Suzhou. Je longeais le trottoir qui conduisait vers l'avenue la plus proche, protégé de l'averse naissante par l'avancée des toits vers la ruelle, et me maudissait de n'avoir pas apporté de parapluie.

 

Au croisement avec l'avenue, plus d'abri : m'abritant sous la devanture d'une banque, je mesurais les faiblesses de ma position : un véritable îlot émergé face aux terres menacées par la pluie : devant une avenue infranchissable, à gauche un chantier boueux, et à droite, le long de l'avenue, de longues façades sans abris. Aucun vendeur de parapluie n'étant en vue, et la chance d'attraper un taxi pendant l'averse étant quasi nulle, je décidais de me jeter sous un abribus pour attendre que le temps passe.

 

Alors que je désespèrais calmement sur mon banc abrité, contemplant le traffic complètement congestionné, et commençais à envisager de consacrer les deux heures et demi restantes à parcourir les quelques kilomètres qui me séparaient de la gare, un taxi fit halte exactement devant moi. Trois personnes en descendent, claque la porte, et il repart ; c'est-à-dire qu'il avance symboliquement d'environ dix centimètres, marge ultime qui lui est permise avant d'emboutir le véhicule qui le précède. A ce moment je me ressaisis ainsi que mon petit cartable, le hèle et d'une main et ouvre la portière de l'autre. Qiaohao ! Merveilleuse coïcidence si improbable qu'hébété je faillis la rater !

 

 

"Vous êtes libre ?

- Oui, bien sûr."

 

 

Laissant là, sous l'abribus mes camarades d'infortune dont les bus ne risquaient pas d'arriver de si tôt étant donné la lenteur d'écoulement du traffic, je demandais à mon chauffeur de mon conduire illico à la pagode du Temple du Nord, après toutefois lui avoir fait confirmer sa position et la distance entre elle et la gare, par mesure de précaution.

 

 

Heureusement nous bifurquâmes rapidement vers un axe latéral plus petit et plus ciculant. Afin de meubler la conversation, je le complimentais sur l'énorme berline flambant neuve qu'il conduisait avec une prudence exatrordinaire. Oui, me dit-il en essayant de régler d'un oeil et d'une main le climatiseur, le gouvernement de Suzhou nous a aidé à changer nos vieilles caisses pour ce nouveau modèle. En Chine en effet, les taxis font l'objet d'une sorte de commande groupée, un contrat à l'échelle de la ville ou de la province, probablement négocié à coup de pots d'alcool de riz et autres cadeaux louches. Résultats, presque tous les taxis sont identiques. Mais cela en vaut sans doute la peine : j'imagine le visage du négociateur de Volkswagen le jour où il a signé le contrat portant sur la vente de cinquante-mille taxis à la ville de Shanghai. Les Allemands sont particulièrement à ce petit jeu-là, et on retrouve différents modèles de Volkswagen inconnus en Europe, toujours plus arriérés à mesure qu'on s'enfonce dans les villes de l'intérieur. A Pékin, en revanche, c'est je crois une firme coréenne qui a décroché le marché.

 

 

Ceci dit, l'énorme berline dans laquelle nous naviguons confortablement au milieu des trycicles, vélos et autres véhicules non identifiés semble plus adaptée aux larges avenues d'une métropole américaine qu'aux minces allées élégante suzhouéennes. Le gouvernement local aura eu les yeux plus gros que le pare-choc.

 

 

Nous discutons un peu, et je tente quelques phrases en dialecte shanghaien, que je sais très proche du dialecte de Suzhou, à savoir la langue de Wu, dont il tient en fait son origine. Ça fonctionne, le chauffeur quitte le traffic des yeux quelques instants pour me dévisager une demi-seconde, et il se lance dans une tirade à laquelle, bien évidemment, je ne comprends rien. Mais ce n'est pas grave, quelques mots suffisent à montrer qu'on n'est pas un sauvage. Le voilà qui propose de me déposer à l'entrée d'un petit supermarché, juste avant la pagode, afin que je puisse m'offrir avant toute chose le précieux parapluie de la liberté.

 

 

J'accepte, et après quelques minutes seulement de déambulation dans une voie à peine plus large que la voiture il se range et me dépose avec force salutations.

 

 

Alors, le tourisme commence. Finalement, c'est aussi bien qu'il pleuve : la ville n'a ainsi pas trop l'air d'un parc Disney, elle est dans son jus. Un jus sale, d'ailleurs, puisque l'avenue le long de laquelle se dresse la fameuse pagode est en plein travaux : on creuse sous elle une ligne de métro.

Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie

Au pied de la pagode, quelques bus de touristes chinois tout de même, et lorsqu'on franchit la grande porte de bois, l'enfilement habituel des petites cours caractéristique des temples bouddhiques. La pagode date des Ming, c'est-à-dire en gro de la période de la renaissance (1368-1644).

 

 

Au milieu des arbres, ravi sous la pluie comme un gros bébé chauve dans sa baignoire, un imposant bouddha accueille les visiteurs. N'oublie pas d'être heureux semble-t-il dire, et les Chinois d'acquiescer joyeusement.

 

 

Plus on grimpe dans les étages (et je m'apercevrai qu'ils sont plus nombreux qu'il paraît) plus on découvre l'étendue de la petite ville de Suzhou. On voit aussi l'avenue perforée pour faire passer le métro.

 

Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie

 

 

Ci-dessous, on devine à faible distance l'énorme de toit de la gare moderne, imposante bâtisse déposée juste à côté de la vieille ville, juste séparée d'elle pas un petit canal.

 

 

 

Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie

 

Sympathique ce petit pavillon, non ? On s'y assierait bien sur une chaise longue en bambou pour écouter tomber la pluie, dans une petite odeur de moisi et d'encens.

 

 

Suzhou Sous la Pluie

 

 

Dans l'idéal il ne faudrait pas vous balancer, auguste lecteur, toutes ces photos à la va-vite comme je le fais ici. Un peu de tri serait le bienvenu, pour ne vous donner à voir qu'une quintessence ciblée.

 

Je l'ai déjà un peu fait puisque ce ne sont ici que des morceaux choisis. Mais chacun de ces clichés montre un angle différent, et me semble donc digne d'intérêt.

 

Ci-dessous, l'exemple de ce qu'est un véritable lotissement. Et encore, j'en ai de bien pire (à la fois moins originaux et plus grands, par par exemple à Shaoxing).

 

Et au loin, la grande Arche de la défense, qu'on ne voit, comme les falaises de Douvres, que par temps clair.

 

 

 

Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie

 

 

Lorsqu'on redescend on retrouve l'atmosphère plus humble et calme du temple. On peut se promener le long de ses petits cours humides (s'il a plu) et dans un jardin a l'air semi-abandonné où croupit une mare. Près de la mare, un pavillon fermé de trois murs seulement (c'est-à-dire qu'il est entièrement ouvert côté mare). Dans le pavillon, une chaise qui écoute la radio. Et face à la chaise, attaché très court à la balustrade qui le protège des monstres marins (marin, ine, adj. qui vit dans une mare) un pauvre chien solitaire, à l'air triste. Je ne l'ai pas pris en photo, je n'aime pas prendre les gens en photo quand je voyage.

 

 

Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie
Suzhou Sous la Pluie

 

 

Un dernier salut au bouddha avant de repartir, puis un trajet en scooter derrière un papi au mégot vissé sur les lèvres m'emmène en deux minutes par dessus le canal jusqu'à la gare décidément imposante.

 

 

On peine à faire entrer dans l'objectif son toit en carton plié qui à l'air suffisamment gros pour y poser un Boeing 777, par exemple. C'est peut-être prévu ? A l'avenir, un aéroport sur le toit de la gare, ce serait plutôt pratique.

 

 

On finit par trouver son chemin grâce aux signes très clairs qui vous indiquent toutes les directions et même le bas des escaliers. Un dernier coup d'oeil à la petite ville de Suzhou, fière Venise chinoise, ville ancienne de la soie et des poètes, dont l'antique porte fait fièrement face au hall des départs, puis on pourra s'engouffrer dans le TGV sifflant aux yeux de lave pour refoncer à travers les usines, les entrepôts, les marais et les complexes immobiliers vers Shanghai.

 

 

 

 

 

 

Suzhou Sous la Pluie
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Suzhou Sous la Pluie

Rédigé par FangShuo

Publié dans #Suzhou, #Chine, #Pluie, #Pagode, #Photos, #TGV

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A
Comment sont les TGV chinois ? Est-il bondé, propre ? Les places sont-elles réservées ? Les gens se marchent-ils dessus à la française ?
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F
En revanche oui les places sont réservées. Au contraire des trains classiques, les places ne sont pas survenues, tout le monde a don un siège. Mais c'est tout de même un peu la cohue au moment des montées/descentes.
F
En seconde, ce sont des rangées de 5 sièges (2+3). C'est relativement propre, mais beaucoup moins feutré que l'ambiance du TGV français... Notamment quand le voisin décide de lire le document sur lequel on est en train de travailler, ou de passer un coup de téléphone en braillant. Au sens propre. Sans parler des deux télés, à chaque extrémité, qui diffusent en continue la propagande de la société nationale des chemins de fer, entrecoupée de pubs. Bref, ce n'est pas particulièrement calme.
Q
Super FangShuo ! nous voyageons encore avec toi. Je retrouve d'ailleurs plein d'impressions éprouvées lors de mon dernier voyage en Chine, sans oublier l'achat du parapluie, accessoire indispensable !
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F
;-)